En Afrique, depuis quelques années, le téléphone ne sert plus seulement à téléphoner ou accéder à internet mais sert également à transférer de l’argent : idée révolutionnaire lancée pour la première fois au Kenya en 2007 par l’opérateur Safaricom grâce à « M-Pesa ».
Ce modèle a dès lors fortement intéressé les compagnies de télécommunication qui souhaitent désormais intégrer l’un des marchés de services financiers les rentables en Afrique : c’est le cas notamment au Cameroun. Ce mode de transfert d’argent bien qu’avantageux, pose pourtant des incohérences que semblent ignorer les pouvoirs publiques.
Le duo « téléphone mobile & transfert d’argent » : le modèle qui arrange bien les populations africaines.
De nos jours la compétition sur le marché du transfert d’argent qui pesait 31,4 milliards d’euros en 2015, se joue désormais sur le téléphone portable. Selon la banque mondiale, l’Afrique compte près de 650 millions d’utilisateurs de mobiles, plus qu’aux Etats-Unis et qu’en Europe. Pour dire que c’est un marché porteur que les grandes multinationales occidentales s’arrachent. Au Cameroun c’est la multinationale sud-africaine MTN en 2009, qui fut la première à avoir l’ambition de s’accaparer ces deux importants marchés en créant son service « MTN Mobile Money » en partenariat avec la banque camerounaise Afriland First Bank. Mais c’est son concurrent direct Orange, filiale du grand groupe français, qui a lancé son projet un an plus tard en partenariat avec la BICEC, qui est désormais leader du transfert d’argent mobile avec près de 12 milliards F CFA de volume de transactions par an grâce à « Orange Money », service très prisé par les jeunes. Pourtant la première entreprise à proposer le transfert d’argent mobile est l’entreprise locale camerounaise Express Union, spécialisée dans le transfert d’argent et la micro finance, qui avait réalisé en 2010 un chiffre d’affaires de près de 3 milliards de FCFA. C’est incontestablement un système qui convient parfaitement aux populations africaines qui, à prix accessibles, peuvent aussi bien acheminer rapidement de l’argent vers les régions les plus reculées, que recevoir de l’argent de leurs proches sur le plan national et même international.
En route vers la bancarisation des sociétés africaines ?
Le téléphone est devenu un moyen de paiement. Il est désormais possible grâce à un compte « Orange Money » ou « MTN Mobile Money » de faire des achats en ligne, régler sa facture d’énergie ou payer ses frais de scolarité. Nous assistons aujourd’hui à ce qu’on pourrait assimiler à une bancarisation des populations africaines, grâce aux services financiers proposés depuis les téléphones mobiles. Il faut rappeler qu’en Afrique moins d’un quart de la population a accès à un service bancaire, mais nombreux sont les africains qui possèdent un téléphone ou même deux.
Bien que le principal critère de bancarisation retenu par la COBAC soit le nombre de comptes bancaires, ce nouvel outil de transactions financières familiarise de plus en plus les africains, les jeunes notamment, avec les habitudes bancaires (dématérialisation de la monnaie, achats en ligne, etc.). Il est d’ailleurs possible depuis son compte mobile money de faire des virements dans son compte bancaire et vice versa.
Dernières innovations en date, Orange propose désormais aux clients de ses filiales africaines des cartes Visa et un « sticker OM NFC » pour faciliter les achats dans les centres commerciaux; Et MTN, grâce à son partenariat avec la firme britannique Worldremit signé en Octobre 2016,projette d’offrir la possibilité à ses usagers d’envoyer et de recevoir de l’argent à l’international. Ce qui est assez curieux quand on se rappelle qu’il ne s’agit encore que d’entreprises de télécommunication.
Un flou juridique persistant.
Au Cameroun, tout porte à croire que les compagnies de télécommunication cherchent de nouvelles sources de revenus depuis qu’elles ont été forcées de pratiquer des prix plus avantageux à leurs usagers, sous le poids de la concurrence. En effet les leaders sur le marché, MTN et Orange, seuls concurrents à l’époque de l’accession du pays aux services de télécommunication après le retrait de l’opérateur Mobilis, ont pendant longtemps pratiqués des prix pas loin de l’escroquerie et ont su renflouer leurs trésoreries. Revenus désormais à des pratiques plus raisonnables, ils se tournent vers les services de transfert et de paiement mobile pour tenter de maintenir leurs ressources au même niveau. Seul problème : un flou juridique persiste sur cette activité qui prend de plus en plus d’ampleur. En effet même les entreprises n’arrivent plus à se passer du mobile money qui est une manière innovante de se faire régler. Eneo, Canal+, Activa, Brussels Airlines, Kenya Airways, etc. Tous ont signé des conventions avec MTN ou Orange pour faciliter le règlement de leurs clients. Le gouvernement n’est pas en reste car il s’est reposé sur ce moyen de paiement pour percevoir les impôts et taxes depuis décembre 2014, en instaurant le « Mobile Tax ». Pourtant l’administration fiscale n’a pas encore précisé les conditions d’imposition des activités du Mobile Money, alors qu’elle l’évoque pour la première fois dans la loi de finance 2014. Ceci laisse un vide juridique dont pourrait abuser les entreprises de télécommunication.
Le secrétaire général de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) en mai 2015, avait déploré le non-respect du règlement 02/00/CEMAC/UMAC portant harmonisation de la réglementation dans les Etats membres de la CEMAC dans le rapport de sa mission d’évaluation poussée vers les établissements de transfert de capitaux. On peut donc imaginer que ce contrôle concernait également les entreprises de télécommunication qui agissent dans ce secteur grâce à l’autorisation de la Banque des Etas d’Afrique Centrale (BEAC). Surtout quand on sait qu’en 2016 ces entreprises ont été qualifiées de « mauvais payeurs » par la Commission Nationale de lutte contre la Corruption (CONAC) qui réclamait 176 milliards de FCFA de taxes et redevances impayés. Raison de plus pour revoir les réglementations applicables au Mobile Money, au risque de supporter les effets indésirables dus au flou et à l’anarchie juridique qui le caractérise.
Conséquences : Concurrence déloyale et hausse du chômage.
On assiste ainsi à une écrasante concurrence entre ces entreprises de télécommunication et les compagnies de transfert d’argent, mais aussi avec les microfinances locales qui subissent le poids de la réglementation bancaire imposée par la COBAC, pendant que leurs concurrents n’en semblent pas très inquiétés. Ces filiales de grandes multinationales qui ont déjà l’avantage d’avoir à leurs dispositions d’importants fonds pour leurs investissements, ne supportent pas les mêmes charges que leurs concurrents. Ils ont librement optés pour des partenariats avec les stations-services, les magasins, les boutiques, etc. En échange d’une commission, ils ont à disposition un personnel déjà employé, un local et échappent ainsi aux charges de personnel, de location, d’entretien, de sécurité, etc. Conséquences, elles pratiquent de meilleurs prix. Naturellement les guichets des entreprises de transfert d’argent ne sont plus aussi saturés depuis l’avènement du « Mobile Money », ce service plus approprié, moins couteux et surtout disponible 24h/24 et 7j/7. Pour un envoi d’une somme de 10 000 FCFA par exemple, Express Union ou Express Exchange touche une commission qui varie entre 400 FCFA et 450 FCFA. Pour la même somme pourtant, Orange Money facture un coût compris entre 100 FCFA et 150 FCFA. Le choix est donc vite fait pour les consommateurs toujours à l’affût de bonnes affaires. C’est pourtant au grand détriment de la création d’emplois. C’est pourquoi dans leur politique de préservation du patrimoine national, les pays d’occident ont fait du transfert d’argent l’apanage exclusif de la poste car il permet de conserver plusieurs dizaines de milliers d’emplois. On se serait attendu à pareille réforme de nos autorités dont l’inertie pourrait provoquer des vagues de licenciements des entreprises de transfert d’argent ou des microfinances pour survivre à la concurrence.
Comment renverser la tendance ?
Pour pallier à cette situation qui pèse sur notre économie, les pouvoirs publics gagneraient à davantage réglementer aussi bien les activités de transfert d’argent que de paiement mobile. S’agissant de l’activité de transfert d’argent, elle ne pourra certainement pas être sous monopole étatique au vue des emplois qu’elle a généré grâce aux entreprises privées ; Mais elle pourrait être strictement réservée à des entreprises qui sont dévolues aux services financiers et bancaires afin de booster les emplois et percevoir régulièrement les impôts y afférents. Dans ce schéma, les compagnies de télécommunication devront créer en marge de leurs activités principales, des entreprises spécialisées dans les services bancaires et financiers et fonctionner dans des conditions équitables avec ses concurrents. A défaut, l’administration fiscale qui ne peut désormais plus se passer de ce moyen de paiement, devra s’atteler à bien circonscrire les revenus liées aux activités financières de ces entreprises et les imposer d’après un régime d’imposition créé à cet effet. Le gouvernement devrait en outre exiger comme condition de poursuite de leurs activités, que ces entreprises de télécommunication génèrent des emplois directs (Il n’est pas question de se reposer sur les “call-boxeurs ” et autres partenaires !!).
Cette situation soulève tout de même une question de souveraineté économique des pays africains assiégés par les grandes multi-nationales occidentales , qui désormais n’ont plus seulement le contrôle des communications des populations mais aussi de leurs finances. De quoi renforcer le lobbying de ces mastodontes sur le gouvernement.
Arielle BEKIMA.
Sources : JeuneAfrique, LeMonde, Baobab hebdomadaire du 09 janvier 2017, Camer.be