A l’issue du premier tour à la présidentielle française qui fut l’une des plus incertaine de l’histoire, c’est finalement le libéralisme qui affrontera le nationalisme lors du second tour dimanche prochain. Malgré un débat d’entre deux tours médiocre, cette actualité qui secoue le monde, intéresse particulièrement les africains qui y voient plusieurs intérêts.
Qu’est ce qui est en jeu ?
Les relations entre la France et l’Afrique remontent à l’arrivée des missionnaires français à la fin du XIXème siècle. Cette relation s’est très vite transformée en une relation de subordination où l’on a vu pendant près de 80 ans un pays régner sur pratiquement tout un continent à travers les douloureuses années de colonisation. Depuis le temps est passé, mais le système de domination n’a pas changé malgré les séries d’indépendances des pays d’Afrique francophone obtenues à prix de sang. Aujourd’hui cette domination est encore palpable à travers ces quelques éléments, pour ne citer que ceux-là :
- La monnaie : Adossé à l’Euro par le truchement d’une ancienne convertibilité liée au Franc Français et fabriqué en France, le franc CFA (franc des Colonies Françaises d’Afrique devenu franc de la Communauté Financière Africaine dans l’UEMOA et franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale dans la CEMAC) est une monnaie utilisé dans 15 pays africains. Créée le 26 décembre 1945 à l’occasion de la ratification des accords de Bretton Woods par la France, cette monnaie n’a jamais tenu ses promesses de développement rapide brandit par son instigateur français. Elle essuie aujourd’hui plusieurs critiques dues à l’obligation de reverser 50% des opérations internationales en réserves dans le trésor français, sa détermination aux évènements de la zone euro et non aux conjectures des pays de la zone franc mais surtout la dépendance à l’ancien colon détenant un élément majeur de la souveraineté de ces pays.
- L’immigration : Selon l’Institut national d’études démographiques de France (INED), les immigrés sub-sahariens qui n’étaient que de 20 000 en 1962 sont passé en 2004 à 570 000 (soit une multiplication par 27 en plus de 40 ans), dont 80% venant des anciennes colonies françaises et seulement 41% concernent des entrées légales. Ces migrations ont trois principales raisons : le travail, la famille et la nuptialité. Pour ainsi dire que bon nombre de familles africaines ont certains de leurs membres résidants en France. Normal que ça devienne gênant avec le temps et le chômage s’aggravant. Pourtant cet afflux massif est souvent perçu à tort comme un danger pour l’économie car elle booste la consommation et donc les recettes de TVA et contrairement à ce qu’on pourrait penser, poussent indirectement les natifs vers des emplois plus qualifiés et mieux rémunérés, les migrants ayant occupés la plupart des emplois délaissés.
- L’économie : La France est le premier fournisseur et le second client du continent africain avec respectivement 15% des importations et 10% des exportations. Les relations commerciales avec l’Afrique permettent à la France de dégager un excédent commercial confortable (3,2 milliards d’euros en 2004, dont 1,8 milliards pour l’Afrique Subsaharienne). On constate également le maintien des firmes françaises dans le secteur pétrolier, bancaire ou des télécommunications à des situations de quasi-monopole. De même les programmes d’aide et d’emprunt du gouvernement français au bénéfice des pays africains, ont offert des contrats à des grands groupes français notamment du bâtiment et travaux publics ou de l’eau et de l’électricité.
A cette liste non exhaustive on peut ajouter la défense (sous couvert de l’ONU) à travers les opérations militaires plus ou moins contestées au Mali, en Centrafrique ou encore en Lybie. Sans parlé des recettes importantes dans la vente des armes et équipements militaires.
Les avis divergent…
Les Africains espèrent ainsi une issue salvatrice pour leurs pays au terme des élections françaises de 2017 (comme c’est d’ailleurs le cas à chaque échéance électorale). Il est facile de percevoir l’avis des jeunes sur la question à travers leurs post sur les réseaux sociaux.
- Les pro-Macron : grande surprise de cette échéance électorale, Emmanuel Macron grâce à sa jeunesse et ses opinions modernes incarnerait un renouveau pour la France. Social-libéral, il a créé sa propre ligne politique dit « centriste », et compte, pour ce qui concerne l’Afrique, intensifié les échanges (économiques et humains) avec ce continent lié à la France de par l’histoire. Les frileux de la réduction drastique des flux migratoires peuvent donc se rassurer. Ainsi, Emmanuel Macron Président éviterait non seulement les vagues de rapatriements prévus par son adversaire, mais précisément pour les jeunes intensifierait les échanges d’étudiants et de chercheurs. Et sur le plan économique, il sera question de privilégier l’Afrique (et le Nigéria en particulier) dans les échanges économiques, d’augmenter les aides au développement et soutenir les PME africaines. Il est même allé jusqu’à avouer que « la colonisation française a été crime contre l’humanité ». De plus la menace du retour au Franc Français brandit par le leader d’extrême droite, entrainerait la dévaluation automatique du Franc CFA utilisé dans deux grandes communautés économiques en Afrique (UEMOA et CEMAC).
- Les pro-LePen : pour les partisans de Marine Le Pen, fervente nationaliste dont le programme majeur porte sur la réduction du flot migratoire et la renégociation des termes d’échanges avec les autres pays de l’Union Européenne, il s’agira du début de la « libération » de l’Afrique. En effet, d’après leur logique, il serait difficile de continuer de puiser les ressources africaines quand on ne veut plus de ses ressortissants chez soi. Et c’est ainsi la possibilité de se tourner librement vers d’autres partenaires économiques. Bien que depuis son alliance avec Nicolas Dupont-Aignan (arrivé sixième au premier tour), la question du retour à une monnaie nationale soit devenue floue et incohérente (cohabitation d’une monnaie nationale avec la monnaie européenne), la lutte contre ce qu’elle appelle la « mondialisation sauvage » reste d’actualité : limitation du nombre d’entrées légales sur le territoire à 10 000 par an, contrôles à toutes les frontières (fin du traité de Schengen), moratoire sur les visas de longue durée. Le parti de Marine Le Pen, l’a d’ailleurs confirmé il y’a quelques jours sur les ondes de RFI : « tout changera dans les relations entre l’Afrique et la France une fois l’arrivée du Front National au pouvoir ». Il sera également question de mettre fin à la Françafrique et de compenser les nouvelles mesures de rétention de la population dans leurs pays d’origine par des aides au développement. Protégé du monde de la finance, Emmanuel Macron encouragerait plus tôt les industriels français à élargir leur implémentation en Afrique, et n’incarnerait rien d’autre que la continuité de la politique africaine de François Hollande.
Et si ce n’était que des illusions ?
Il est difficile de croire en la parole des politiciens. Souvenons-nous en 2012, François Hollande promettait également le changement des relations entre la France et l’Afrique, l’abolition de la Françafrique et le retrait des troupes militaires françaises en Afrique. Cinq ans plus tard, les interventions militaires en Afrique n’ont pas cessé et le sommet Afrique-France n’est rien d’autre que la réincarnation de la Françafrique. De la même façon il ne faut rien attendre de plus de ces deux candidats à présidentielle française, d’autant plus qu’aucun n’a ouvertement dénoncé les relations impérialistes entre la France et les pays d’Afrique francophone, ou simplement décidé de l’abandon définitif du franc CFA.
De plus il est naïf de penser, qu’un jour un président français (quelques soient ses promesses de campagne) renoncera à dominer l’Afrique, le continent du futur, car il n’en est pas de l’intérêt de la France. Le Franc CFA est le parfait instrument pour y arriver. D’autant plus qu’il s’agit en réalité de leur propre monnaie qu’ils ne font que louer aux pays qui l’utilisent.
Et sincèrement pourquoi attendre d’un chef d’un pays étranger qu’il change les choses dans nos pays. Les africains gagneraient à sortir définitivement du clivage « La France doit libérer l’Afrique », car un bourreau n’a jamais volontairement laissé filer ses sujets. En effet toutes les libérations que l’histoire du monde a connu n’ont pas été accordées mais obtenues (arrachées). Ce fût ainsi le cas de l’esclavage, de la colonisation, de l’apartheid…
A l’ère des médias et du numérique, des contestations pacifiques, économiques et intellectuelles sont possibles à l’image du « Front anti-Franc CFA » mené par l’activiste Kebi Seba. Même s’il faut l’avouer, qu’ils n’auront pas pleinement leur impact tant que les politiques locales ne prennent pas leurs responsabilités. Toutefois il semblerait que la question de la sortie de la zone franc soit en cogitation durant les récents sommets des Chefs d’Etat africains. Espérons que cela soit une réalité qui portera très bientôt ses fruits.
Arielle BEKIMA
Source :
site internet – Le monde, libération, l’internaute, jeuneafrique, le courrier du soir, rfi, bceao.
Revue – Extrait de “Politique africaine” 2007/1 N°105, page 54-69